L'écosystème apprenant des Colibris

L'écosystème apprenant des Colibris

La théorie des Communs refleurit ces dernières années, depuis qu’un prix Nobel a couronné les travaux d’Elinor Ostrom en 2008. Une lourd discrédit pesait auparavant sur les capacités d’auto-organisation d’un groupe pour gérer ensemble une ressource, avec la prétendue «tragédie des Communs» décrite quarante ans plus tôt par Garrett Hardin.

Dans le domaine des savoirs, des réalisations aussi magistrales que l’encyclopédie Wikipedia ou l’application Open Street Maps nous fournissent depuis plus de 15 ans des témoignages éclatants de la force d’une invitation à la collaboration ouverte, dans un cadre de gouvernance donné et une intention partagée inspirante.

A l’autre bout du spectre des savoirs, les démarches de science ouverte, amplifiées elles aussi par les outils numériques collaboratifs, sont aujourd’hui adoptées dans tous les domaines au cœur des processus de la recherche.

Qu’en est-il des organisations dans lesquelles nous travaillons ? Quelles sont aujourd’hui les organisations qui s’emploient à construire leurs connaissances comme un bien commun ?

Mobilisation de l’intelligence collective, bienveillance, coopération ouverte, accès «ouvert par défaut» aux informations et aux connaissances… Les ingrédients de la co-construction de connaissances sont-ils transposables dans des organisations de culture hiérarchique, où le savoir n’est traditionnellement pas partagé ?

Cet article proposera la revue d’une organisation impliquée dans le mouvement de la transition citoyenne, fonctionnant en réseau et soutenant l’ensemble de ses membres dans le développement de leur capacité d’agir dans le sens d’une plus grande innovation sociale.

Il s’agit du projet Oasis en tous lieux, porté depuis 2015 par l’association Colibris, dont la raison d’être est d’inspirer, soutenir et relier les porteurs de projets d’Oasis - à savoir des lieux de vie et d’activité répondant aux idées-clés du Manifeste pour des Oasis en tous lieux, publié en 1997 par un collectif d’auteurs fédérés autour de Pierre Rabhi.

Très en avance dans la mise en œuvre du paradigme d’une organisation apprenante, cette organisation met à disposition l’ensemble de ses connaissances produites sur un espace numérique ouvert{:target=”_blank”}, ce qui permettra aux lectrices et aux lecteurs de cet article de s’y référer directement.

1. Brève histoire d’une organisation apprenante de la transition citoyenne

Imaginé à la fin des années 90 sur la base d’une conviction profonde - la nécessité d’un changement de modèle de société - , le réseau d’éco-lieux a connu un démarrage assez lent. Une dizaine d’années ont été nécessaires pour créer le prototype, le Hameau des Buis en Ardèche, et presque autant pour le second, le centre agro-écologique des Amanins dans la Drôme. A partir de 2015, le projet intègre l’association Colibris et devient l’un de ses projets phares. En trois ans, le réseau se structure, renforce l’autonomie de ses participants et se développe rapidement.

Un éco-lieu du réseau Oasis se caractérise par cinq invariants :

  • Agriculture bio / autonomie alimentaire (agriculture vivrière de proximité, production)
  • Eco-construction / sobriété énergétique (diminuer l’empreinte écologique de son habitat)
  • Un équilibre réinventé entre collectif et individuel (mise en commun, inclusion)
  • Une gouvernance qui respecte la souveraineté de chacun et encourage des relations humaines bienveillantes
  • L’ouverture sur le monde (transmission, accueil pour faire bénéficier le reste de la société de son expérience)

Colibris, un mouvement de la transition citoyenne

Créé en 2007 sous l’impulsion 5 personnes dont Pierre Rabhi, Colibris est une association loi 1901 reconnue d’intérêt général dont la mission est d’accompagner les citoyens qui font le choix de s’engager dans un mode de vie plus écologique et solidaire. La raison d’être du mouvement des Colibris est ainsi présentée sur son site : Colibris se mobilise pour la construction d’une société écologique et humaine. L’association place le changement personnel au cœur de sa raison d’être, convaincue que la transformation de la société est totalement subordonnée au changement humain. Colibris s’est donné pour mission d’inspirer, relier et soutenir les citoyens engagés dans une démarche de transition individuelle et collective.

Lors des présidentielles de 2012, Colibris imagine une campagne Tous Candidats / Transformons nos Territoires, qui se prolonge par la suite avec la structuration d’un réseau de groupes locaux Colibris (130 GL dénombrés aujourd’hui en France, Belgique et Suisse).

En 2015, le mouvement Colibris s’organise en trois pôles : Inspirer – Relier – Soutenir et autour de quelques projets-phares, dont le projet Oasis. Certaines réalisations sont très visibles, comme le film documentaire Demain (nov 2015, plus d’un million de spectateurs en France), d’autres réalisations remarquables le sont moins, comme l’Université des Colibris, un projet d’éducation populaire autour de la transition dont le cœur est une université en ligne qui a ouvert en janvier 2016, avec un premier MOOC Comment concevoir une Oasis ?.

A l’occasion des 10 ans du mouvement, au printemps 2017, une campagne de mobilisation Le chant des Colibris, l’appel du monde de demain donne lieu à une tournée de rassemblements citoyens dans 6 villes de France, avec conférences, ateliers participatifs et concerts. Lors de l’évènement parisien du 8 avril, Cyril Dion, membre du cercle de pilotage du mouvement Colibris et réalisateur du film Demain, a exprimé qu’il envisageait cet appel comme une bataille culturelle pour faire changer notre regard sur le monde, changer les représentations et la culture, soutenue par un travail pédagogique entrepris de longue date.

Colibris, à fin 2018, c’est une communauté de 300 000 personnes, 130 groupes locaux et 4 900 cotisants qui soutiennent financièrement les actions de l’association à hauteur de 80% de son budget de fonctionnement en euros (hors bénévolat et mécénat).

Dates-clés de la constitution du réseau des

1997 : Publication du Manifeste pour des Oasis en tous lieux Ce court texte collectif sous la direction de Pierre Rabhi appelle à l’émergence de lieux de vie et d’activité inspirés par la logique du vivant, où l’humain et la nature sont replacés au centre.

Des relations informelles se tissent avec des éco-lieux historiques des années 70 tels que La maison autonome, le village d’Eourres ou le Lavoir du Buisson.

  • 2001-2011: création de l’oasis Le hameau des Buis en Ardèche, sous l’impulsion de Sophie Rabhi-Bouquet et Laurent Bouquet, autour de l’école La ferme de enfants.
  • 2003-2012 : création du centre agro-écologique Les Amanins, à partir de la rencontre entre Pierre Rabhi et Michel Valentin.
  • 2015 : le projet Oasis en tous lieux intègre le mouvement des Colibris. L’association pose 4 objectifs dans la feuille de route pour 2015 :
    1. Mise en réseau de éco-lieux existants
    2. Accompagnement d’une dizaine de graines d’oasis
    3. Ouvrage avec le magazine Kaizen sur les oasis
    4. Campagne citoyenne et auprès des élus sur Oasis
  • 2016 : la feuille de route vise l’amélioration du soutien proposé aux projets et pose 3 objectifs :
    1. Poursuivre et améliorer la mise en réseau des lieux existants et des acteurs, en collaboration avec d’autres acteurs nationaux ou européens (mutualisation de la cartographie des lieux alternatifs avec le collectif Habitat Participatif)
    2. Mettre à disposition davantage de ressources (données, formations…) cohérentes et de qualité (création du MOOC Concevoir une oasis)
    3. Accompagner de façon locale le développement concret de projets spécifiques (formation des premiers compagnons Oasis)
  • 2017 : Après la mise en place d’un écosystème d’outils et de partenaires dans l’objectif de faciliter la création d’oasis, l’année 2017 a surtout pour objectif de faire utiliser ces outils le plus largement possible et d’évaluer les résultats concrets obtenus :
    1. Développer le réseau des oasis et des graines d’oasis, ainsi que le rapprochement avec le réseau Habitat Participatif
    2. Mettre en œuvre et améliorer l’accompagnement concret des projets d’oasis grâce aux outils créés (festival des oasis, déploiement d’accompagnements par les compagnons)
    3. Initier et commencer à mettre en œuvre un outil financier au service du développement des oasis (la Coopérative Oasis) C’est aussi l’année de la rédaction et protection de la marque collective « oasis » sous le modèle de la marque wikipédia.
  • 2018 : L’année 2018 continue à améliorer l’usage le plus large possible de l’écosystème d’outils et de partenaires dans l’objectif de faciliter la création d’oasis, mais doit aussi aller chercher de nouveaux publics en relançant une démarche de communication, notamment en dehors du réseau proche de Colibris. Le seul nouvel outil, structurant pour l’avenir du projet, sera la Coopérative Oasis qui permettra de traiter le volet financier du soutien apporté par Colibris.
    1. Aller toucher des nouveaux publics, hors et dans Colibris, et leur donner envie de créer des oasis
    2. Augmenter l’utilisation des outils existants
    3. Lancer la Coopérative Oasis.

Le réseau compte aujourd’hui 700 éco-lieux sur le territoire français et son espace numérique partagé a plus de 10 000 utilisateurs réguliers. Les sessions de formation du MOOC Concevoir une Oasis produit en 2016 par l’Université des Colibris ont déjà enregistré plus de 30 000 inscrits.

La démarche du projet Oasis étant ainsi posée dans sa chronologie et resituée dans le contexte du mouvement citoyen des Colibris, la suite de cet article propose d’analyser les éléments caractéristiques de la communauté apprenante du projet Oasis et le statut des connaissances co- produites.

Pour chaque angle d’analyse, je chercherai à mettre en évidence, en fin de paragraphe, les caractéristiques qui me semblent être des facteurs-clés de réussite et une éventuelle source d’inspiration pour d’autres organisations.

2. Faire réseau, favoriser l’holoptisme

Pour initier la transformation de quelques dizaines d’expérimentations d’éco-lieux en un réseau d’innovateurs, le premier axe du projet (2015) a été la mise en réseau des lieux, non pas en étoile, autour d’un centre, mais dans une logique de réseau décentralisé, et de mettre ce réseau en visibilité.

  • Rencontres avec et entre les éco-lieux existants
  • Définition avec les éco-lieux d’un cœur de 5 intentions dans lesquelles des collectifs peuvent se reconnaître et rejoindre le réseau Oasis (Agriculture bio, autonomie alimentaire / Eco-construction, sobriété énergétique / Mutualisation / Gouvernance respectueuse / Ouverture sur le monde).
  • Publication avec Kaizen Oasis, un nouveau mode de vie. Colibris présente 100 lieux) (seul contenu sous droit d’auteur…)
  • Préparation du MOOC avec un noyau d’éco-lieux (tournage de vidéos)

Se voir en communauté : favoriser l’holoptisme

Appartenir à une communauté ne se décrète pas d’en haut. La perception intérieure de se reconnaître soi dans les valeurs, mais aussi les actes, les actualités, les orientations des autres, construit par étapes et de l’intérieur, un sentiment d’appartenance.

La capacité à voir ce que font les autres et à donner à voir ce que je fais moi est donc un facteur-clé dans la constitution d’un réseau. Derrière les architectures d’« outils » pour se voir en communauté, se trouve véritable un enjeu de sens.

L’holoptisme est selon Jean-François Noubel “la propriété d’un petit groupe en reliance, connecté au Tout émergent.” (vidéo, 2009). Pour un membre d’un groupe, c’est la capacité à percevoir l’ensemble du groupe. Cette notion s’oppose au panoptisme, caractéristique des organisations pyramidales : celui au sommet voit tout, mais n’a pas accès aux détails. Celui en bas voit le détail du bas, mais ne voit pas le sommet. Tout le monde n’a qu’une vision partielle de l’ensemble.

Dans des grands groupes comme la communauté des oasis, des architectures visibles ou invisibles sont nécessaires pour installer des dispositifs holoptiques :

  • en présence, la pratique du cercle pour soutenir des échanges de haute qualité relationnelle, des format d’animation variés favorisant les rencontres multiples (cercles samoans, accélérateurs de projets, cercles de décisions…)
  • à distance, des infrastructures numériques ouvertes et participatives de type wiki,la cartographie dynamique qui a joué un rôle central / notion d’holoptisme et la continuation d’une culture relationnelle du cercle et de la gouvernance partagée

Faciliter une communauté en réseau : favoriser l’agentivité individuelle et collective

Une fois un dispositif holoptique mis en place, l’animation du réseau des éco-lieux s’est alignée sur une « position basse » de facilitateur, afin de favoriser l’émergence des actions et d’entretenir holoptisme et agentivité individuelle et collective.

Qu’entend-on ici par agentivité ?

C’est une notion centrale de la théorie sociale cognitive d’Albert Bandura. Agentivity, ou human agency désigne le sentiment d’efficacité personnelle, la capacité à exercer un contrôle sur ses conduites et à les mener à bien, cela en interaction avec l’environnement et en fonction des résultats souhaités (Bandura, 2002). La notion d’agentivité passe mal de l’anglais au français, on parle plus facilement de sentiment d’efficacité personnelle ou d’auto-efficacité dans la littérature en langue française.

Selon Albert Bandura, les systèmes sociaux qui entretiennent les compétences des gens,leur fournissent des ressources utiles, et laissent beaucoup de place à leur auto-direction, leur donnent plus de chances pour qu’ils concrétisent ce qu’ils veulent eux-mêmes devenir. (Bandura, 2002)

Dans cette intention de dispositif favorisant l’auto-direction, Denis Cristol développe une vision de l’animation de communautés très éloignée du « community management », recherchant une intention d’émancipation collective. Il parle de vitalisation de la communauté, d’appui sur l’agentivité collective. Dans cette dynamique, écrit-il, la communauté est une conversation qui évolue et transforme. (Cristol, 2016)

Le choix de l’holoptisme a été fait pour mettre en réseau les premiers oasis et pour construire les outils de la communauté apprenante, deuxième axe du projet. Le style d’animation choisi pour ce réseau est d’inviter et faciliter l’intelligence collective.

3. Une communauté apprenante

Pour transformer en trois ans quelques dizaines d’expérimentations d’éco-lieux en un réseau de plusieurs centaines oasis et graines d’oasis, le deuxième levier du projet a été de se constituer en communauté apprenante.

Qu’entend-on exactement ici par communauté apprenante ?

Parmi de multiples approches, je retiens celle-ci : « Dans un groupe structuré se met en œuvre un processus d’apprentissage collaboratif, fondé sur une dynamique qui favorise la synergie et la complémentarité autour d’une action collective réflexive et critique, enracinée dans le milieu de vie partagé ». (Orellana, 2002) et je reprends les composantes analytiques retenues par Denis Cristol (2016) :

  • La communauté est mue par des motivations intrinsèques
  • Participer est une démarche d’auto-direction, volontaire et libre
  • Il existe un intérêt pour un objet en commun, pour une question authentique, un enjeu
  • Le type d’animation de la communauté favorise la coopération entre pairs

Un MOOC collaboratif

Le MOOC mis en place en 2016 pour soutenir et relier les personnes qui co-construisent un projet d’éco-lieu est entièrement gratuit, et toutes les ressources pédagogiques sont téléchargeables et sous licence libre Creative Commons de type CC By SA. Un appel aux dons pour financer ce MOOC a posteriori (ou pour créer d’autres MOOCs de l’Université des Colibris) est fait en direction des participants. Le MOOC ne délivre aucune attestation de suivi ou de réussite.

La structure et l’animation du MOOC incite les participants à travailler en groupe s’ils ont un projet d’oasis en commun, et, à chaque module, de remplir ensemble une nouvelle rubrique de leur cahier des charges du projet. A la fin du MOOC, les participants sont invités à publier leur cahier des charges sur le wiki du MOOC et une dizaine de projets publiés bénéficient d’un accompagnement après le MOOC.

Le wiki du MOOC est un élément-clé du dispositif d’apprentissage et de construction de la communauté : cartographie des participants, forum, agenda participatif pour créer des rencontres (ou des groupes de pairs pour ceux qui n’ont pas encore de projet d’oasis mais s’y préparent).

En complément des vidéos, les exercices qui sont proposés, les kits méthodologiques pour organiser une rencontre, introduisent à des pratiques d’intelligence collective.

Le premier MOOC a été suivi par 28 000 personnes dont 20 % sont allés à son terme. Après deux sessions du MOOC avec animation, en 2016 et 2017, les contenus pédagogiques sont maintenant disponibles sous forme de parcours en auto-apprentissage.

Des rassemblements apprenants

Des rencontres vivantes, conviviales, porteuses de « petites expériences irréversibles de collaboration » sont le second pilier de la communauté apprenante. Une culture relationnelle inclusive, s’appuyant sur des « architectures invisibles » telles que la pratique du cercle, les jeux coopératifs ou la communication non-violente, est diffusée à travers ces moments de rassemblements apprenants.

Des rassemblements, on l’a vu, ont lieu pendant le MOOC, soutenus pour leur organisation par le wiki du MOOC.

D’autres rassemblements apprenants sont organisés : annuellement, un Festival des oasis, pour soutenir et relier les porteurs/animateurs d’oasis. Il donne lieu à une capitalisation numérique des ateliers, accélérateurs de projets, conférences et partages, sur le wiki global du projet Oasis. Des voyages-découverte d’oasis ont aussi été expérimentés pour des personnes en phase de réflexion amont sur un projet.

Pour faire communauté apprenante, un dispositif mixte, inclusif, qui s’appuie sur l’auto-direction 7des apprentissages, des échanges de haute qualité relationnelle, le développement de l’agentivité et du sentiment d’efficacité personnel, individuel et collectif.

4. Une communauté intentionnelle plus large

Pour soutenir les innovateurs-apprenants dans la durée, la communauté d’apprentissage est soutenue par une communauté intentionnelle plus large, celle des Colibris, et des campagnes de mobilisation ou de sensibilisation d’un plus large public sont entreprises au niveau de Colibris pour diffuser une nouvelle culture et de nouveaux récits.

Avec l’ouverture à la dynamique Habitat Participatif, l’holoptisme et le soutien d’une « communauté-mère » plus large me semble constituer les trois traits caractéristiques capables d’expliquer la croissance aussi rapide de la taille du réseau.

Une communauté-mère qui soutient

  • Le réseau des groupes locaux Colibris en proximité des porteurs/animateurs de projet d’oasis
  • un dispositif de formation à distance (L’Université des Colibris)
  • une plateforme numérique de soutien aux projets (La Fabrique des Colibris)
  • des outils numériques collaboratifs libres (yeswiki, outils framasoft)
  • la coopérative Oasis pour aider au financement en collectant de l’épargne
  • mais aussi une communauté humaine qui partage une culture (façon de se réunir, de relationner) et un ensemble de valeurs (transition écologique et citoyenne)

Une communauté-mère qui fait campagne

  • le film Demain (plus d’un million d’entrées en France)
  • une collection d’ouvrages co-édités avec Actes Sud (Domaine du possible)
  • de l’aide pour construire la crédibilité vis-à-vis des pouvoirs publics (campagne de 2015 auprès des élus)

La communauté apprenante est soutenue par une communauté-mère plus large, qui donne du sens et des moyens, pour durer dans le temps et pour faire campagne.

5. Des projets centraux au service des besoins et de l’émancipation

Le projet Oasis est animé en central par Mathieu Labonne, qui est également le directeur (ou 1er lien, selon le vocabulaire sociocratique) de l’association Colibris.et par Gabrielle Paoli, sur qui repose l’écoute et l’animation du réseau (première interlocutrice, création de newsletters, événements, reportages…). Cette petite équipe sollicite plusieurs fois par an un comité de pilotage constitué de personnes qui ne sont pas forcément membres des Colibris.

Un nombre volontairement et nécessairement restreint de projets ont été conduits depuis le centre, l’idée directrice étant que la vocation du centre est d’aider les personnes à s’aider elles- mêmes ou à s’entraider, et non de faire à leur place. Cinq projets sont ainsi conduits depuis le centre :

  • Le festival annuel des oasis (rencontres entre oasis, ateliers, conférences, convivialité)
  • un wiki global dédié pour le réseau (qui permet la capitalisation des savoirs et son partage ouvert au-delà même des frontières de l’organisation)
  • douze Compagnons Oasis formés et au service des projet pour accompagner au plus près des besoins sur les territoires
  • le montage de la Coopérative Oasis (outil de financement)
  • la mise en réseau au niveau international (accueil du Global Ecovillage Network en France en 2020)

L’animation de projets centraux ne s’accompagne pas d’une structuration classique en étoile. On voit par exemple que les outils numériques proposés sont délibérément décentralisés, participatifs et appropriables sans logique de demande d’autorisation.

Le centre favorise la transparence de l’information et un principe de « partage par défaut ». Le style d’animation porté par les acteurs centraux est également marqué par une position basse, souvent proche de la facilitation.

6. Construire ses connaissances comme un commun

Je souhaiterais enfin interroger cette organisation apprenante issue du mouvement de la transition sous l’angle du bien commun, comme annoncé en ouverture de cet article. C’est sans doute la caractéristique la plus innovante de toutes à observer dans ce réseau.

Co-construire ses connaissances et les partager au sein d’une communauté, est-ce en faire un commun ? Ne s’agit-il pas simplement une œuvre collective ?

A la lumière du renouveau des études sur les Communs et de l’actualité de la vie numérique, quels seraient les indicateurs qui permettent à une organisation apprenante de se situer effectivement sur le territoire des communs de la connaissance ?

Economie de la connaissance et communs

La littérature sur les communs converge aujourd’hui autour d’un triptype pour identifier et analyser les communs : 1) une ressource partagée 2) une communauté 3) des règles et une gouvernance auto-instituées par la communauté.

Je propose de survoler l’apparition de ces trois points dans la littérature sur les communs, en suivant l’essor de l’économie de la connaissance à partir des années 90.

Une ressource partagée

Dans les années 90, les communs de la connaissance sont d’abord assimilés à la culture libre par opposition à la culture régie par la droit d’auteur : logiciel libre, open source, œuvres sous licence Creative Commons (pour des contenus texte, musique, photo, vidéo, jeux…). C’est donc le partage, premier point du triptype, qui est mis au premier plan.

Cette vision se prolonge dans le domaine des apprentissages, avec la notion de ressources éducatives libres (REL) introduite à l’Unesco en 2002, qui focalise l’attention sur la logique de l’accès.

Une communauté

Les réalisations collectives telles que Linux, Wikipedia ou Open Street Maps, à la fin des années 2000, ont permis de voir la puissance d’une communauté engagée dans une création de connaissance commune, et ouvert la voie au déploiement des approches de science ouverte.

Dans le même temps, l’économie collaborative, où des plateformes numériques de mise en relation gérées par un acteur central disruptent l’organisation de pans entiers d’activités humaines, donne une démonstration de force d’un autre genre, sans que ce « travail des multitudes » fasse nécessairement communauté.

Des règles et une gouvernance auto-instituées

La question de la gouvernance -troisième élément du triptype définissant un commun - se trouve posée en creux par l’économie collaborative, qui partage et s’appuie sur une communauté, mais où le pouvoir de décision est détenu par un acteur central qui capte à son profit la valeur créée par la communauté (Verdier et Colin, 2012-2015).

L’éducation n’échappe pas à la disruption, entre l’apparition des MOOCS (2012) et de nouveaux entrants surpuissants du numérique. En 2015, l’Unesco élargit sa perspective initiale et publie un nouveau rapport Repenser l’éducation. Vers un bien commun mondial ? dans un contexte mondial de marchandisation croissante des services éducatifs.

Aujourd’hui, un auteur-phare sur les communs, Lionel Maurel, appelle à Réinvestir les Communs culturels en tant que Communs sociaux, et à dépasser les approches économicistes. En définitive, il n’y a que des Communs sociaux, au sens d’une groupe humain s’auto-organisant pour donner corps à une idée d’œuvre partagée en se donnant pour cela une forme institutionnelle adaptée à leurs besoins par le biais d’une délibération collective. Et là où il n’y a pas de Commun social, alors il faut considérer qu’il n’y a pas de Commun tout court, quant bien même pourrait-il y avoir des ressources partagées. (Maurel, 2018)

Ces trois dimensions des Communs sont inséparables, et Lionel Maurel insiste à juste titre sur les dynamiques d’auto-organisation et d’auto-régulation par la délibération collective, seule garantes du risque d’accaparement d’une production collective par un acteur central.

Une dynamique sociale. « Pas de communs sans commoners »

A la lumière de ce qui précède, le projet Oasis du mouvement des Colibris doit beaucoup à la raison d’être et à la gouvernance de sa « communauté-mère » pour réaliser ce triptyque et construire des commun sociaux.

Rappelons la raison d’être de l’association : Colibris se mobilise pour la construction d’une société écologique et humaine. L’association place le changement personnel au cœur de sa raison d’être, convaincue que la transformation de la société est totalement subordonnée au changement humain. Colibris s’est donné pour mission d’inspirer, relier et soutenir les citoyens engagés dans une démarche de transition individuelle et collective.

L’association fonctionne en gouvernance partagée, dont les modalités ont été peaufinées par un long partenariat avec l’Université du Nous. C’est en tant qu’acteur de la transition citoyenne qu’elle est constructrice de communs sociaux.

Pourtant, il ne s’agit là que d’un cadre favorisant, une invitation faite aux personnes, aux ommonners, à venir en conscience y partager des apprentissages et des innovations sociales.

Pour citer Benjamin Coriat :* il n’y a pas de commun sans commoners, c’est-à-dire sans action collective. C’est au demeurant celle-ci (l’action collective menée par les commoners) qui est en général l’élément principal qui définit tout à la fois les droits noués autour du commun et son mode de gouvernance, et donc sa pérennité dans le temps.* (Coriat, 2015)

Sans l’activité libre et auto-dirigée des commoners, un réseau tel que celui des Oasis ne saurait se constituer, ni offrir une telle somme de connaissances ouvertes, non seulement à l’organisation, mais par porosité au-delà de sa membrane, en direction de la société entière.

Des connaissances construites comme un bien commun et mises en visibilité à travers un réseau ouvert permettent de faire archipel avec la société, comme explique Laurent Marseault dans cette tribune de mars 2018.

S’inspirer et apprendre de pair à pair

Cette revue d’une organisation apprenante de la transition écologique et citoyenne est-elle inspirante pour nos propres organisations ?

Pour s’inspirer des partis-pris forts du projet Oasis, je propose aux lectrices et aux lecteurs de cet article un exercice de retour réflexif partagé, en porosité avec d’autres lectrices et lecteurs. En suivant ce lien, vous aurez accès à cet exercice, à vos propres réponses et aux réponses des autres participants.

Pour aller plus loin

Pour cheminer sur les terres des communautés apprenantes et des communs de la connaissance, voici enfin quelques propositions d’accompagnement.